Depuis quelques semaines, en Inde, de nombreux patients se rétablissant de la Covid-19 sont touchés par une grave maladie due à des champignons, la mucormycose. Spécialiste des maladies fongiques, Fanny Lanternier est professeure au département des maladies infectieuses et tropicales de l’Hôpital Universitaire Necker-Enfants malades (AP-HP, Université de Paris) ainsi qu’à l’Institut Pasteur, au Centre National de Référence des Mycoses invasives. Elle revient sur les origines de cette affection et sur sa prise en charge.
The Conversation : La vague de Covid-19 d’ampleur exceptionnelle qui s’abat sur l’Inde depuis plusieurs semaines s’accompagne d’une épidémie de mucormycose qui aurait déjà causé la mort de plus de 200 patients. À quoi est due cette maladie ?
Fanny Lanternier : La mucormycose est une maladie causée par des champignons microscopiques appartenant à l’ordre des Mucorales. Ces champignons filamenteux, appelés ainsi parce qu’ils forment des filaments lorsqu’ils se développent, vivent dans l’environnement dit « tellurique », autrement dit dans les sols, les poussières.
On peut lire un peu partout que la mucormycose est le fait de champignons noirs (« black fungus »), mais ce n’est pas le cas. Si les champignons noirs sont bien des champignons pathogènes, eux aussi, et si l’on en trouve également en Inde, ils ne provoquent en revanche pas de mucormycose. Et pour cause : ils n’appartiennent pas à l’ordre des Mucorales ; ce sont des Phaeohyphomycètes. Cette méprise est peut-être liée au fait que les lésions développées par les Mucorales peuvent être noires, en raison de la nécrose provoquée.
TC : Quels sont les symptômes de ces infections ? Comment est posé le diagnostic ? Quels sont les traitements ?
FL : Lorsque l’infection est contractée par voie aérienne, elle concerne initialement les sinus de la face, et les premiers symptômes constatés sont une douleur au niveau du visage et de l’œil. Des saignements de nez peuvent aussi survenir. L’œil peut devenir rouge, et il peut y avoir une exophtalmie (l’œil devient protubérant).
L’infection peut progresser jusqu’au cerveau, et lors des stades les plus avancés on observe une nécrose cutanée au niveau de la face. D’autres sites peuvent être atteints, comme le poumon ou la peau et les muscles. Les signes évocateurs sont respectivement une fièvre, une toux et des douleurs du thorax ou une nécrose d’un site cutané, après un traumatisme.
La mucormycose est une infection dont le diagnostic est difficile, car on dispose d’assez peu de marqueurs sanguins pour détecter les champignons qui la provoquent. La recherche de génomes de Mucorales dans le sang, par PCR, est une bonne approche, car cela permet de diagnostiquer l’infection assez tôt. Il est nécessaire d’effectuer un prélèvement (biopsie) au site d’infection, puis de le mettre en culture pour vérifier s’il contient des Mucorales. Cette approche peut s’avérer compliquée à mettre en œuvre dans un contexte épidémique tel que celui que vit l’Inde, avec des malades potentiellement dans un état sévère. Cela demande des moyens importants.
TC : Comment traite-t-on la mucormycose ?
FL : Le traitement est difficile. Le problème principal auquel on se retrouve confronté lorsqu’il s’agit de traiter les formes les plus avancées est que les tissus sont alors complètement nécrosés. Ils ne sont donc plus vascularisés correctement, ce qui signifie que les antifongiques, administrés par voie sanguine, ne vont pas diffuser jusqu’au site d’infection.
La chirurgie doit être systématique dans les infections des sinus et de l’oeil : il faut opérer les malades pour enlever les tissus nécrotiques, en complément du traitement antifongique de référence (polyènes tels que l’amphothéricine B et ses dérivés lipidiques).
TC : Comment se font les contaminations par les Mucorales ?
FL : Les contaminations se produisent principalement de deux façons.
Le plus fréquemment, l’entrée du champignon dans l’organisme résulte de l’inhalation de spores. Dans ce cas, le champignon s’attaque aux sinus et aux poumons. Les personnes les plus touchées par ces formes sont les patients dont l’immunité est déficiente, par exemple les patients sous chimiothérapie.
Outre les problèmes d’immunité, on sait que certaines pathologies peuvent prédisposer à la maladie. Le cas du diabète est très bien documenté : cette affection est très associée au risque de développer une mucormycose, en particulier la forme sinusienne, avec une extension vers l’œil.
Le champignon peut également pénétrer dans l’organisme suite à un traumatisme important, en cas d’accident par exemple, notamment agricole.
TC : Pourquoi les cas explosent-ils en Inde ?
FL : Plusieurs facteurs expliquent comment l’épidémie de Covid-19 a pu aggraver la situation indienne.
En temps normal, il y a déjà davantage de cas de mucormycoses en Inde qu’ailleurs.
(ndlr : certains auteurs estiment qu’en Inde la prévalence de la maladie pourrait être d’environ 14 cas par 100 000 habitants, ce qui signifie qu’elle serait jusqu’à 70 fois plus élevée que la prévalence globale). En outre, la population indienne est plus affectée par le diabète. Et qui plus est, les infections respiratoires sont connues pour favoriser les infections à champignons.
Cela a bien été montré dans le cas des formes graves de grippe : les patients qui sont hospitalisés en réanimation, intubés et ventilés, ont un risque important d’être atteints d’aspergillose, une maladie causée par d’autres champignons filamenteux. C’est aussi le cas des patients Covid qui sont intubés et ventilés (ceci dit, dans ce dernier cas le risque est moindre qu’avec la grippe - précisons également que l’aspergillose ne se transmet pas de patients à patients).
Cette susceptibilité accrue aux infections fongiques s’explique par le fait que les poumons sont abîmés par les virus respiratoires, ce qui favorise l’infection fongique (celle-ci n’est pas forcément acquise à l’hôpital : les gens peuvent avoir inhalé des spores avant d’y être admis). Certes, les mucormycoses décrites en Inde sont surtout des atteintes des sinus, mais il est difficile de savoir si les champignons ont aussi été systématiquement recherchés au niveau des poumons.
Enfin, dernier point : la corticothérapie, indiquée pour traiter les formes graves de Covid, est responsable d’une immunodépression, ce qui favorise aussi les infections à champignon. Mucorales dans l’environnement plus nombreuses qu’ailleurs, grand nombre de patients diabétiques qui ont reçu des corticoïdes et dont les muqueuses respiratoires sont abîmées par le Covid : la situation indienne actuelle est particulièrement favorable au développement de mucormycoses.
TC : Cette situation est-elle spécifique à l’Inde, ou constate-t-on la même chose ailleurs ? Qu’en est-il en France ?
FL : Quelques cas ont été rapportés ailleurs, mais dans des proportions bien moindres.
En France, on ne dénombre en temps normal que 50 cas de mucormycose par an environ, les formes cutanées représentant 18 % des cas. Les Mucorales que l’on retrouve dans notre pays ne sont pas exactement les mêmes qu’en Inde, les espèces les plus fréquentes diffèrent notamment, mais a priori, cela ne change pas la virulence ni la prise en charge en cas d’infection.
Quoi qu’il en soit, la France est peu concerné par la mucormycose en tant que complication de l’épidémie de Covid-19. En matière d’infections fongiques, il a juste été constaté une hausse des aspergilloses, ce qui n’est pas surprenant étant donné ce que l’on sait des liens entre infections respiratoires et infections fongiques. Mais quoi qu’il en soit, cette hausse reste moindre que lors des cas de grippes sévères.
Fanny Lanternier, Chercheuse, Centre National de Référence Mycoses Invasives et Antifongiques. Unité de Mycologie Moléculaire, CNRS UMR2000 - Institut Pasteur ; PU-PH - Service de maladies infectieuses et tropicales Hôpital Universitaire Necker Enfants malades - APHP, Université de Paris
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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